mercredi 14 février 2007

L'Italie de loin

L'italie de loin

J’ai toujours eu de terribles préjugés sur les restaurants italiens en Angleterre. Enfin je dis en Angleterre, mais ça vaut aussi pour le pays de Galles, où j’ai récemment mangé un des plus mauvais repas de ma vie – mais je laisse la réflexion se prolonger encore quelque peu sur ce moment fondateur – et l’Ecosse, où je dois avouer avoir été impressionné il y a peut-être deux ans par des moules cuisinées dans un rouge bouillon de tomates et oignons – de la tablée deux d’entre nous avaient opté pour une entrée, et mon voisin m’assura que ses moules à la crème étaient un régal, d’ailleurs à la vue j’étais jaloux – et une pizza parfaite dans cette bonne ville de Glasgow, que j’avais il y a six mois seulement désignée comme l’élue de mon cœur aventurier – je ne fais pas d’aventures hors de l’Europe pour le moment.
Je ne suis pas retourné à Glasgow, personne ne voulait m’y employer alors merde. Mais quand j’étais petit, il me semble bien avoir été dans au moins un restaurant non loin de la Tyne, qui existe toujours d’ailleurs, ce n’est pas dans Grey Street, mais la rue qui tombe parallèle et tournante sur le fleuve. Et c’était pas bon, non, je me souviens que ce n’était pas bon. Les habitants du Nord de l’Angleterre, pour la plupart, certainement il y a quinze ans ne connaissaient guère la cuisine continentale. Je n’inclus pas mon père naturellement, même si après tout il doit être tenu responsable, c’est lui qui m’avait traîné là. Il paya rudement la mauvaise adresse, car je nous amenais par la suite capricieusement et pendant de nombreuses années à « pizza hut », avant que ce goût ne passe. Presque. Bref. Avec un nom exotique, à consonance italienne, on pouvait faire ingurgiter les plats les plus infâmes aux béotiens de mon second pays. Les temps ont changé, le pays s’est, en partie, enrichi, et des hordes de cadres parfumés gagnant véritablement des sommes stupéfiantes pour nous autres derrière le masque de leur persona poursuivent le soir leur vie palpitante dans d’innombrables restaurants aux menus plus invraisemblablement chers les uns que les autres. Les restaurants italiens, entre autres, font leur affaire, et on en trouve sans difficulté. Bien entendu, je suis toujours rétif à l’idée de manger dans un restaurant italien dans cette contrée, mais il se trouve que l’offre culinaire à Chorlton, pour ce qui concerne les restaurateurs car on trouve des bouchers dans ce quartier et même, grand luxe de Manchester, un poissonnier, reste limitée ; comme samedi affichait une heure, et que je n’avais pas mangé la veille au soir, pour des raisons totalement indépendantes de ma volonté et dont la lourde responsabilité repose sur des épaules autres que les miennes, je ne pensais qu’à manger en cette belle matinée, j’en avais rêvé, pour dire vrai, toute la nuit. Or nous nous souvînmes qu’un restaurant d’appellation italienne nous avait été recommandé par le passé, nous l’avions cherché un temps sans succès. Rien d’étonnant à cela, c’est de loin une courbe blanche qui laisse présager un grand « fish and chips », ou des bureaux d’experts-comptables anonymes. Affamé, je remarque un signe bleuté, « chroma », au dessus de la véranda blanche aux vitres obscures. J’ai entendu depuis de sources populaires qu’il s’agissait d’une chaîne. Une chaîne limitée, que m’a-t-on dit déjà, deux restaurants à Manchester, et un à Boston ? Une connexion exécutive avec Pizza express ? Quoiqu’il en soit, l’intérieur est spacieux, des poutres au plafond, beaucoup de blanc, des tables très neutres, nappes blanches, verres à vins au format classique, service sympathique… Le fait est que les restaurants britanniques peuvent être très bruyants, voilà, comme les pubs. Or manger dans les hurlements de ta conversation et bien ça coupe l’appétit.
Ici, c’est calme. En tous les cas un samedi à une heure. On nous propose une jolie place près de la baie vitrée qui donne sur la route. Son nom je ne le connais pas, mais d’où je me trouvais, j’apercevais le panneau de signalisation routière : tout droit, Fallowfield, à gauche, Trafford, à droite, interdit sauf pour les bus.
Donc, tout cela est bien beau, mais quid de la nourriture ? Et bien j’ai eu le plaisir de tomber sur un spécimen typique de l’effort hybride de la proposition italienne dans le Nord : des plats méditerranéens d’inspiration, guère plus italiens que vous ou moi, mais agréables au palet. En entrée une assiette limitée de charcuterie, salami, un tout petit peu de jambon de parme, du chorizo, deux tranches d’un très bon pain et des olives. On trouve aussi au menu des salades, assez diverses et semble-t-il réussies. Puis la pizza, l’exemple parlant d’une mutation pas trop ratée dans l’espace : la forme est ronde mais étroite, le tout tient dans une petite assiette à hors d’œuvres, mais la pâte sans être épaisse est ultra nourrissante. La garniture est italianisante, bouts de parmesan, ou légumes en tranches, jambon pour moi, et salade, de la roquette, un fragment de vérité dans un costume policé. Le tout est recouvert d’huile d’olive. Ce n’est pas mauvais. On se sent détendu, les prix sont loin d’être scandaleux. C’est très nouvelle bourgeoisie flexible – soit pas l’industrielle – et le menu le reflète, car si j’ai choisi la pizza ‘parma’, c’était bien la seule avec la marguerita à se revendiquer des parents, fussent-ils lointains ; pas de regina, de quatro stagioni, de pizza alla toscana, alla napoletana, calabrese, siciliana, non, mais à l’américaine, à la grecque, au poisson, ce genre de chose. Le vin au verre est honnête, relativement parlant, et j’ai pu avoir un véritable expresso à la fin du repas.
Je me félicite de cette avancée gastronomique, et je garde en mémoire à titre de comparaison une pizza berlinoise – l’Allemagne est l’autre pays pour lequel je nourris une méfiance ancienne envers ses greffes italiennes – observée cet été non loin de check point Charlie, avec stupeur, les piments placés entier sur une pâte matefaim, à moitié grillés à moitié crus, ayant déversé leur eau en deçà.

mercredi 7 février 2007

Bangers and Mash.

Vers trois heures de l’après-midi, comme le ciel s’assombrissait déjà, les idées fumeuses et le cœur léger, mon journal épais sous le bras, je m’assis au « bar », un pub en vogue de Chorlton, ce quartier à la réputation artistique de Manchester, que Hulme aux dires de la rue serait en train de lui subtiliser à l’heure où j’écris, et je regardai le tableau noir. J’étais venu une fois, par le passé, au jour du seigneur, le dimanche que les fêtards débutent tardivement, bien après la clôture des messes matinales, raison pour laquelle la Grande-Bretagne a créée le « Sunday lunch », le repas dominical des restaurateurs offerts à bon prix de midi à sept heures. Les plats du jour tournaient autour du bœuf : genre steak sirloin avec des légumes… Je me méfiai, assez illogiquement, car j’étais déjà venu manger au bar au mois de décembre, et je restai sur une mauvaise impression tirée de deux tranches d’agneau alors qu’enrhumé je ne goûtais rien. Quoi de plus terrible que la perte du palet ? Bien des choses certainement, néanmoins, je la classe dans les grands indésirables. J’ai dû requérir de ma mère une oie pour ce noël, afin de surmonter la déception qu’entraîna un rhume malheureux en l’année 2004 alors que nous avions mis au four un membre de cette race exquise. Quoiqu’il en soit, j’optai ce dimanche pour un grand classique du menu, une clef de voûte de la cuisine britannique, le célèbre « Bangers and Mash ». Le plat consiste en des saucisses, britanniques, une traite en soi, du moins théoriquement, et de la purée, ou plutôt sa version pauvre, les « mash potatotes » soit des pommes de terre bouillies écrasées avec une noix de beurre. Personnellement, je préfère la purée ainsi, sans lait, quoique derrière les fourneaux je rajouterai immanquablement un demi pot de crème fraîche. Bref, le tout se doit de baigner dans une sauce brune, une « gravy » sanguine dans laquelle on a le bonheur de tremper l’ensemble. Une fois le journal parcouru, les « cafés latte » bus – l’Italie reste la référence marketing du café qui s’est tout de même indéniablement amélioré malgré ou peut-être grâce à l’invasion liquide de Starbuck - nos plats arrivèrent. Bien m’en avait pris de ne pas opter pour l’option végétarienne du jour ! Je dis cela en coin car de visu je m’enquérais, innocent, de la mangeabilité d’un étonnant filet de polenta enrobé de pâte servi avec ses petits légumes bouillis… Cela étant dit le végétarien est souvent accommodant avec sa gamelle dans la mesure où il n’y a pas de bouillon de porc dans la sauce ou autres tranches de jambons malicieusement conservés dans le croque monsieur belge. Par contre, mon plat, peu généreux aurais-je dis, arborait quatre belles saucisses brûlées à point (c'est-à-dire pas trop), sur une trop fine couche de purée. Les tubes de chair porcine s’avérèrent délicieux, véritablement, ce que l’on expliquera par leur origine fermière comme il était stipulé sur la carte, et j’oubliais un instant le manque de purée. Fameuse « bangers and mash » ! Je noyai le tout d’une pinte de « White Monk ». Et bientôt il était temps de repartir, de relancer la Peugeot 205 sur la M62 en direction de Liverpool et de mes nouveaux quartiers.